Notre-Dame de Paris

Concours pour le mobilier liturgique

Fin 2022, j’ai concouru pour la création du mobilier liturgique de la cathédrale. Le premier tour consistait en un dossier administratif et une note d’intention. On m’a beaucoup demandé ce que la mienne contenait. La voici. 

UN MOBILIER DE LUMIÈRE

Vision sensible et personnelle du candidat sur le projet, les lieux concernés et les enjeux que recouvre la commande d’un mobilier liturgique, particulièrement pour la cathédrale Notre-Dame de Paris.

 

Le mobilier de Notre-Dame est une acmé qui fait sourdre en moi le même vertige passionné que celui des tailleurs de pierre de Maurice de Sully, il y a dix siècles. Il doit comprendre à mon sens trois dimensions fondatrices : une inventivité où le passé se transfigure dans le langage du présent, porteuse d’un message universel, qui suscite l’émerveillement de l’Espérance.

Une inventivité où le passé se transfigure dans le langage du présent 

L’enjeu est d’embrasser la tradition liturgique, de saisir l’esprit du lieu et de le couronner par une expression technique et esthétique du XXIsiècle. La cathédrale est l’apogée d’un art savant, exécuté par des générations d’« œuvriers » de génie. Le nouveau mobilier doit être lui aussi un apogée du savoir-faire de notre siècle et une page du palimpseste de la cathédrale.

Porteuse d’un message universel  

La nuit de l’incendie, l’effondrement de la flèche a transcendé les différences de continents, de religions, de convictions. Notre-Dame est un chef-d’œuvre, un bien à la portée universelle. Un lieu de beauté et de paix. Le futur mobilier, doit embrasser et incarner cette largeur d’horizon, en étant compréhensible de manière universelle.

Qui suscite l’émerveillement de l’Espérance 

La charpente et la flèche reconstruites à l’identique, le mobilier sera l’élément nouveau qui dira la renaissance, la résurrection. Il doit émerveiller par son apparence et dire l’Espérance qui est au cœur de la foi. Donner l’image du Christianisme du XXIsiècle, bâtisseur, lumineux, pour qui Dieu est amour.

Mise en mots par le candidat de sa démarche artistique et des grands principes qui ont régi jusqu’ à présent sa création

J’ai dédié les quinze dernières années de ma vie à la création liturgique. Mon travail de réaménagement liturgique est musical, symphonique. Une église est un orchestre, il s’agit d’accorder ses différents « pupitres » que sont ses volumes, son époque et son style propre, son mobilier existant, sa dédicace, mais aussi son orientation pour la lumière des vitraux. La stratification des siècles auquel on va adjoindre une création contemporaine. Il s’agit de s’imprégner d’un lieu pour créer l’œuvre qui va l’unifier et la magnifier. Il m’est arrivé de travailler dans des églises du XVsiècle ou dans des églises que j’ai vues sortir de terre. Je forge ma création en SERVANT le lieu dans son identité propre.

La nature de ce service se joue sur deux axes. Il faut servir verticalement le divin en retranscrivant de manière accessible les Mystères sacramentaux. Et s’adresser sur un axe horizontal à toute la largeur de l’éventail des fidèles et visiteurs qui passent dans les églises. L’aménagement liturgique revient à unifier ces deux axes.

Le mobilier est un des vecteurs de la rencontre avec Dieu. L’autel est le lieu de la transsubstantiation. Le tabernacle est la demeure de Dieu sur terre. L’ambon est la montagne où la Parole est proclamée à travers les siècles. Le baptistère est le lieu de la renaissance par l’eau baptismale. La cathèdre est le siège de celui qui célèbre in persona Christi.

Ce sont ces dimensions qu’il faut donner à voir. Aussi bien aux fidèles qui doivent être nourris dans leur foi mais aussi et peut-être d’avantage encore, les simples visiteurs, curieux et touristes. En parvenant à émouvoir sans mots, à saisir l’âme par-delà les convictions et les connaissances, en manifestant par la beauté esthétique quelque chose de Dieu.

 

Liens que le candidat établit entre la démarche de création qu’il a pu développer par le passé et la commande de mobilier liturgique pour la cathédrale.

 

Mes multiples chantiers passés me donnent le sens de l’espace liturgique et de son aménagement. Ils me donnent un sens des proportions, ce que j’ai pu notamment vivre dans l’aménagement complet de la basilique de Saint-Avold. Mon expérience de la liturgie me permettra d’exprimer les différents Mystères à l’œuvre dans le mobilier. Mes réalisations depuis plus de 10 ans avec les ateliers Loire, qui sont extrêmement novateurs dans le verre et m’accompagnent dans ce projet, me permettront d’explorer un mode de création contemporain et innovant. Notre-Dame est un Everest de symboles, d’histoire, de savoirs et de difficultés, extrêmement exigeant et auquel mon parcours m’a permis d’être préparée. J’aspire à consacrer l’entièreté de mes forces à ce projet qui est une gageure artistique et un enjeu spirituel pour l’avenir.

Premières intentions

Un mobilier de verre étincelant

J’imagine tout le mobilier fait d’une matière verrière hors du commun, « autre matériau digne, solide et bien travaillé » comme l’indique la PGMR. Rendue étincelante et vibrante par un travail de « grugeage » qui lui donne des facettes. Travaillée pour être translucide : laissant passer la lumière, mais pas le regard. Cette matière n’aurait pas seulement une surface mais aussi une profondeur, faite d’éclats de lumière, à la manière d’un diamant. Réalisée avec un verre non coloré, elle se revêtirait de toutes les teintes de la lumière du jour. En gardant la grâce et l’élégance de la lumière naturelle, avec une juste mesure entre lignes de force et zones de calme visuel. Une matière qui suscite un mouvement d’admiration chez les adultes comme les enfants. Parce que la rencontre de Dieu est un éblouissement de l’âme et que la matière doit en donner les prémisses.

Le verre né du feu

Pour créer cette matière de lumière, le verre est cuit entre 800 et 1000 degrés. C’est la température du feu qui a dévoré la charpente. Dans la chair du mobilier serait inscrite ce passage de la mort à la vie. Notre-Dame revenue du feu, renaît par l’art du feu. Cela peut être expliqué aux visiteurs à différents degrés de profondeur : de la dimension technique à la dimension catéchétique où le mystère chrétien de la Résurrection prend forme dans la matière.

Un axe de lumière

L’axe baptistère / autel / tabernacle / croix sera une flèche menant droit au Mystère divin. Un chemin d’émerveillement, d’émotion, de résurrection et peut-être de conversion. Sur cet axe, il faut une même matière qui accueille et emmène le visiteur ou le croyant de l’un de ces « phares » à l’autre et le mène vers la Rencontre.

L’autel de la Paix

L’autel, pivot central de l’édifice à la croisée des transepts, cristallin, majestueux, c’est le Christ éternellement vivant. Pour être « juste » esthétiquement, et donner in fine l’impression « qu’il a toujours été là », il doit épouser l’architecture, naître d’elle. Je ne vois pas un simple parallélépipède de verre. Mais plutôt un volume « habité ». Quand on regarde la grande perspective de la cathédrale, ce qui frappe c’est la scansion des colonnes qui s’élèvent vers le ciel. Elles ne soutiennent pas seulement la charpente. Elles élèvent le visiteur vers le ciel. Et elles le font avancer vers le sanctuaire. Je redonne ce rythme et cette perspective dans l’autel.

Je vois donc cet autel constitué de strates verticales en verre de forte épaisseur, aux tranches grugées, renvoyant des éclats de lumière. Ces strates dessineraient des lignes verticales, comme des colonnes, avec peut-être même un rappel des formes ogivales gothiques réécrites dans un langage contemporain. L’autel aurait ainsi une perspective interne. De même qu’on avance dans la cathédrale, le regard pourrait avancer au cœur de l’autel. Au centre, un espace de silence. Là, prendrait place une colombe habillée de feuille d’or. Cette touche d’or au cœur de l’autel ferait le lien avec la grande croix de Marc Couturier symbole inoubliable de la survie de la cathédrale, debout et lumineuse dans le matin de cendres. La colombe est le symbole de l’Esprit-Saint laissé au monde par le Christ et toujours à l’œuvre. Il est le souffle que chaque chrétien doit entendre et faire vivre en lui. Mais c’est aussi le symbole universel de la paix. Fidèle convaincu ou badaud admiratif, le nouvel autel parlerait à tous. Il serait signe d’espérance. Par ailleurs, même si c’est un détail, je propose d’inscrire sur le parchemin de dédicace du nouvel autel, ainsi que sur une plaque à un endroit qui sera jugé opportun, les noms de tous les soldats du feu et acteurs qui ont permis la sauvegarde de Notre-Dame, en reconnaissance pour leur courage qui l’a tenue debout.

Le Baptistère ou la lumière initiale

Je vois le baptistère accueillir les visiteurs par un émerveillement. Une cuve octogonale, fidèle en cela à l’histoire de l’Église, et s’évasant en une coupe de lumière où le verre et l’eau ne font qu’un. Chaque pan de l’octogone serait travaillé lui aussi en grugeage, donnant un éclat hors du commun à cette colonne portant l’eau de la vie, fragment de la Jérusalem céleste. Je vois les visiteurs ne pouvoir retenir leur envie de s’en approcher, de le toucher et ainsi d’avoir un premier contact, même sans le savoir, avec le Mystère du Salut.

De la même façon que la colombe est dorée pour mieux unifier l’axe avec la croix, le baptistère aurait certainement une présence discrète d’une croix d’or au fond de la cuve, dont l’éclat dirait la sacralité de cette eau.

J’imagine peut-être un travail sur des faisceaux de lumière très discrets traversant le baptistère de sa base à son sommet et répercutant des points de lumière sur les colonnes de pierre alentour, faisant jaillir un élan de vie.

Ambon et cathèdre : célébrer dans la clarté et la dignité

L’ambon, lui aussi fait de strates de verre cristallin ouvragé, devra dire par son élancement qu’il est une « montagne » où la parole qui proclamée n’est pas de la terre, mais du ciel. Le porte livre devra embrasser toutes les tailles d’évangéliaires, car il représente le seul et unique « Livre ».

L’ensemble de présidence serait sobre et digne comme il convient aux serviteurs du Christ, constitué aussi d’éléments verriers pour veiller à l’unification de l’ensemble, possiblement avec un dossier pour la cathèdre, mais sans aller vers un dessin faisant trop penser à un trône royal. La sobriété de cet ensemble sera propre à dire la disposition de cœur, humble et pleine de foi des disciples qui célèbrent à la suite du Christ.

Le vivant trésor du tabernacle

Il a beau être le plus petit élément en taille, et le plus lointain dans la perspective, c’est le vrai et ultime trésor des lieux. Le trésor éternellement vivant du pain de la vie, le Christ vraiment présent parmi nous.

Par une création unie à l’ensemble, j’aurai à cœur de faire saisir à ceux qui s’approcheront du Saint-Sacrement qu’il est l’épicentre de la cathédrale, rayonnant aux confins du monde.

 

Un mobilier qui laisse une trace de lumière dans l’âme

 

Le vaisseau de pierre de Notre-Dame de Paris a toujours élevé ceux qui y ont pénétré. Dans l’avenir, il bouleversera plus encore, comme tout bien qui a connu le frôlement de la destruction radicale. Pour cette renaissance à l’avenir, je vois un mobilier extra-ordinaire. Héritier des pierres, fidèle à la tradition, et enfant de son siècle. Continuation du génie de la main, image de l’Espérance que porte l’Évangile, émerveillement qui tracera dans les âmes, l’intuition de Dieu.